Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants

Puisque ce sont des enfants, parle-leur de batailles et de rois, de chevaux, de diables, d'éléphants et d'anges, mais n'omets pas de leur parler d'amour et de choses semblables.

Extrait de l'introduction de "Au hasard de la vie" de Kipling

Voilà par quelle citation s'ouvre Parle leur de batailles, de rois et d'éléphants de Mathias Enard et cela suffirait presque à résumer cette petite perle. Mais comme cela ne suffirait que presque je vais être un peu plus loquace ...

Furieux du manque d'intérêt que lui porte le pape Jules II, le grand Michel-Ange s'embarque sur un coup de tête pour Constantinople où l'invite le sultan Bajazet. En effet, celui-ci projette de construire un pont grandiose afin de relier les deux rives de la capitale de l'empire Ottoman. Après avoir rejeté les plans de Léonard de Vinci, c'est vers le futur peintre de la chapelle Sixtine qu'il se tourne.

Mais à peine débarqué, Michel-Ange hésite : il est conscient de l'affront que représente ce voyage car les relations entre Rome et Constantinople sont encore fragiles. Alors, il garde son voyage secret mais en profite tout de même pour découvrir une vie et des traditions inconnues ... Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants ou la rencontre entre un génie de la Renaissance italienne et les charmes d'un des plus riches empires de l'époque.

Mathias Enard décrit avec simplicité la confrontation entre Occident et Orient en mêlant subtilement Histoire et invention. Les carnets de Michel-Ange, ses impressions, l'admiration dans les yeux du poète qui lui sert de guide, tout est écrit avec délicatesse et une grande sensibilité. Un très joli roman, donc, simple et pourtant riche de petits détails qui offrent un autre visage de l'artiste humaniste. Le roman a d'ailleurs été primé par le Goncourt des Lycéens en 2010 ainsi que par le Prix du livre en Poitou-Charentes.

Avant de sortir, encore sur le seuil, le drogman a une hésitation.
-Puis-je vous poser une question, maître ?
-Mais bien sûr.
-Qu'avez-vous fait toute la nuit à la lueur de la bougie ? Avez-vous travaillé au pont ?
Michel-Ange sourit de la curiosité naïve du traducteur.
-Non, au risque de te décevoir, non. Je me suis attelé à une tâche bien plus ardue, mon ami. Un vrai défi.
L'artiste sent que la réponse ne satisfait pas entièrement son interlocuteur, qui reste immobile, la main sur la porte.
-J'ai dessiné un éléphant, ajoute-t-il.
Devinant qu'il n'en apprendra pas plus, Manuel abasourdi quitte la pièce pour se rendre aux cuisines.

"Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants", M.Enard